Circonstances atténuantes.

Sur Offenses de Constance Debré.

Ça n’est pas de ma faute si je m’appelle Circonstances Atténuantes. Ça c’est mes parents qui ont tout gâché. A la préfecture, il paraît, le fonctionnaire ne voulait pas m’enregistrer, mais mon père a tenu bon, il était buté comme un mulet, comme ma mère disait, il n’aurait pas lâché une fane à un radis. Ils se sont bien marré, surtout mes oncles et mes tantes, enfin ils n’ont pas vraiment eu l’occasion de rigoler, mon père s’est planté dans un platane en revenant de la maternité. Alors me voilà bien parti dans la vie, à moitié orphelin, affublé à jamais d’un prénom ridicule, au culte du souvenir d’un jeune homme parti trop vite dans un arbre, un arbre qui lui ne lui en a pas laissé lui des circonstances atténuantes.

Mais j’ai marché très vite. Je ne suis pas une victime moi. A sept ans je marchais déjà plus vite que n’importe qui dans mon école. Moi j’ai pas attendu qu’on me plaigne. Et pourtant on m’a appelé de tous les noms: circonstance, constance, le cirque, Athé, circoncis aussi pour faire plus abbréviatif comme prénom, un prof m’a appelé comme ça, le premier jour de la rentrée, autant vous dire qu’il a mis la moitié de la classe dans sa poche. On m’a accablé, cherché, trouvé, les Circonstances Atténuantes ils ont leur destin tout bien tracé bien lesté je peux vous le dire. On n’est plus que des mots. Même pas des mots avec une sensation, une odeur, un touché, parce que derrière des mots il peut s’en trouver un peu de réalité, non j’étais juste une occasion pour ne pas exister. Je m’étais inventé un frère, Circonstances Aggravante, avec qui je jouais, que je frappait avec mes jouets, on était bien ensemble, et pourtant il ne m’a pas suffit, il ne pouvait pas venir partout avec moi, avec le temps j’ai pris le pli de nommer le monde qui m’entourait de son petit mot secret. Il y avait tata pot de colle, mais là j’avoue c’étais ainsi que tout le monde l’appelait, mamie téléphone, la boulangère je l’avais appelé Guillotine, quand j’allais chercher le pain, dès qu’elle me tendait la monnaie elle criait devant tout ses clients: “Tiens n’oublie pas ta main, ma petite Circonstance Atténuante”. J’avais tellement peur dans mon magasin. L’infirmière de l’école que j’appelais Chaise Electrique. Elle me voyait presque toutes les semaines après la récré, elle n’en pouvait plus de me rafistoler les mains et les genoux, à croire que je le faisais exprès, pour remplir une fiche à mon nom.