François
François est assis devant le lit où gît son frère mort. Il est seul. La nuit est avancée. Il a demandé à un de ses gardes du corps de ne laisser entrer personne dans la chambre d’hôpital. Privilège de ministre. Il ne s’attend pas à la visite de qui que ce soit, cependant. Leur mère ne viendra pas, elle a envoyé un télégramme: Bloquée Ajaccio. Remonterai Paris Lundi.
Il regarde les bras de son frère qui flottent au dessus du drap, il observe une à une les tâches bleues, les traces de piqures, de brûlures de cigarettes, les veines explosées.
Son regard s’arrête sur ses doigts recroquevrillés. Tout ce qui a pu passer entre ces mains là, les micros, les seringues, la drogue, les corps des femmes, les machines à écrire avec lequel il écrivait ses poèmes, ses chansons ou ses lettres enflammées.
Au lever du soleil, François reprendra sa vie de ministre, sa place dans la société médiatique. Il relira le communiqué préparé par son directeur de la communication. Ses amis et ses ennemis lui enverront des messages de condoléances où il devine déjà avec lassitude ce qu’il y lira: de la sympathie, un sens du devoir ou un calcul politique.
Il sait déjà ce qu’on voudra lui montrer. Que derrière les joutes quotidiennes, même si l’on a des opinions différentes, on n’en est pas moins homme. Cette compassion attendue lui fait ressentir sa solitude avec encore plus d’accablement.
Il se souvient de toutes les fois où son frère s’est moqué de ses activités politiques, des affaires que les journaux sortaient sur lui qui le trainaient dans la boue. Son frère riait alors avec avec tellement d’entrain, François n’essayait même pas de lui mentir ou de se justifier. Cela se terminait toujours de la même façon, son frère venait le serrer dans ses bras et lui frotter la tignasse en lui découvrant son grand sourire édenté. Il en sortait avec une énergie folle et une foi renouvellée dans son métier.
Il se passe la main dans les cheveux. Il sent qu’il n’aura plus le courage d’aller affronter le monde du dehors, le monde des autres. Maintenant que son frère est parti, plus personne pour lui pardonner sa vie trop sérieuse, ses compromissions inévitables, plus personne pour porter les péchés pour lui.
Il a pris le livre qui était sur la table de chevet et s’est levé. Dans 6 mois il aura démissionné.