Chapitre 1 : Nighthawks
- Tu n'aurais jamais dû venir.
J'étais assise au comptoir du Bar du Dernier Appel, à Roissy bien après minuit. Quel nom bien choisi pour siroter un fanta fraise à six euro. Le dos tourné à l'entrée, j'ai entendu la porte s'ouvrir avec un fracas de glace et d'acier, j'étais sûre que c'était Jacky, son style emporté et maladroit.
- J'ai reçu ton message, j’ai tout de suite sauté dans la voiture pour te retrouver. Qu'est-ce qui s'est passé?
Il faut pouvoir compter sur ses ex, surtout en cas de coup dur. On se serre les coudes entre malheureux.
- Je t'ai tout expliqué, dans le SMS. Je me suis fait virer.
Mais c'est qu'il insiste, il me demande, il s’intéresse, c'est arrivé quand ça.
À ton avis, tu crois que je traîne dans les bars d'aéroport la nuit pour faire la jolie dans le décor? Tout à l'heure c'est arrivé.
- On vous sert quelque chose?
Le barman qui s'était approché sans que je le repère.
- Non, on va partir.
- Un whisky pour moi, Jacky il fait. Allez, mettez en deux. Il veut fêter ça. Perdre son boulot au Mac Do ça se fête non? Tu crois pas, Charlotte, qu'il me fait?
Jacky il avait toujours des idées derrière la tête, même si il en avait pas beaucoup des idées, mais c'était toujours un peu les mêmes, boire, me faire boire et se vautrer sur moi dans sa Ford Escort quand il était trop tard pour attraper le bus de nuit. Je l'aimais bien Jacky, un comptable chez Speedy ça rassure, ça fait pas de bruit. Tu peux le repousser facilement. Et puis ça dépanne, la preuve.
- Jacky on y va.
Mais c'est qu'il insiste il la veut son histoire.
- C'est comme d'habitude tout ça, un client il avait les mains qui
se promenaient, il voulait vérifier ce que j'avais sous la robe, mais c’était le troisième de la journée. "Viens comme tu es". Ils le disent dans la pub. Le client il a pensé elle peut pas se défendre, l'erreur. Un plateau que j’avais dans les mains, je lui ai envoyé en plein dans sa face de rat écrasé. C'est son nez qui a pas aimé, j'y peux rien moi les gens sont fragiles, après je me souviens plus de tous les détails, il est tombé de sa chaise, il mettait ses mains devant lui pour se protéger, j’ai senti des gens qui m'ont attrapé les bras.
Jacky ça lui avait fait oublier son whisky. J'ai bu le mien en attendant.
- Je ne savais pas que tu pouvais être violente.
Il m’a regardé bizarrement, plus dans les yeux, maintenant le décolleté, c'était pas l'alcool qui lui donnait du désir, non ses yeux s’aggrandissaient, ses paumettes étaient prises de tics, il avait du mal se coordonner, entre son corps, ses yeux et son whisky. J'ai baissé mes yeux voir ce qu'il regardait. J'avais ma petite robe rouge, ma petite robe, ma plus belle robe, ma seule belle en vérité. Au milieu, en dessous du décolleté deux tâches de sang séché...
J'ai pris le verre de Jacky de ses mains je l'ai sifflé. Ça m'a un peu remis au clair.
- Allez, c’est fini.
Il faudra que je trouve une nouvelle robe, si je veux faire bonne impression, de toutes façons il faudra tout recommencer, à zéro, s'en aller, tout recommencer, avec cette tâche sur la robe ça sera pas de la tarte.
Chapitre 2 : Girly show
C'était le matin. J'étais allongée sur le dos.
Maintenant que j'avais plus d’emploi, il fallait que j'envisage les possibilités pour me refaire un peu d'argent.
De toutes façons à Roissy j'étais grillée comme du petit pain, tabasser les clients, ça plombe une réputation, il faut dire.
Je voulais quitter cette vie toxique, les avions, partout, tout le temps, qui te passent par dessus la tête. Tu as beau avoir ton appartement ton loyer, tu y penses aux gens qui sont dans les avions, aux gens qui vont quelque part. J’aurais bien aimé en faire partie moi aussi, décoller de l’asphalte, du bitume, qu’on m’amène un petit déjeuner et qu’on me demande mon avis. Thé ou café? Un petit jus d’orange? Ah madame vous allez quelque part? New-York? Partir aux États-Unis, devenir célèbre. Actrice.
Du talent, j'ai toujours eu. Ça m'a fait penser à Gianni, le tenancier de l'Eden Club, à Louvres. Il m'avait déjà mis le pied à l'étrier, quans j'avais 16 ans et plus rien, déjà, sinon de l'espoir, chez lui j'avais fait mes premières armes de comédienne et de danseuse dans des spectacles pour adultes.
C'était pas bien payé mais je rigolais bien à l'époque avec les copines.
L'Eden Club. J'ai basculé au dessus du corps de Jacky, qui dormait encore et j'ai saisi mon portable.
Gérard... Gianni c'était son nom de scène, en vérité il s'appelait Gérard Jugnot. Mais le nom était déjà pris et pour s'imposer dans le monde du cabaret, il lui fallait qu’on le connaisse pour lui et pas qu’on le confonde avec un petit acteur français, c'était pas une option.
Gianni. Je l'ai retrouvé. Jacky commençait à grommeler, je l'ai poussé hors du lit. Pendant qu'il est allé me préparer le café, j'ai téléphoné, rendez-vous était pris pour le soir même. Je tombais bien, sa danseuse vedette était indisposée, il m'a dit, elle avait la grippe colombienne et les flics lui avaient prescrit de rester 3 semaines à la prison de Réaux pour se remettre d'aplomb, ça l'a fait rigoler le Gérard.
Jacky est parti bosser. Je suis restée dans son lit à regarder Netflix, je voulais étudier le jeu des actrices. Puis il y avait de quoi fumer chez Jacky. J'ai scotché sur un documentaire, ils parlaient des tableaux modernes au Louvres, à Paris. S'ils savaient. Le soir c'est moi allait devenir un vrai tableau moderne, j'ai pensé. L'art est pas dans les musées, il est dans les clubs privés, quand Daisy remue son arrière-train.
Jacky est revenu, j'étais prête, j'avais remis ma petite robe, même si elle était tâchée, je me suis dit que Gianni pourrait la laver, avec ses connexions dans le milieu, surtout que sur scène à l'Eden Club c'était pas l'endroit où j’aurais besoin de mes vêtements.
Jacky m'a déposé devant l'Eden Club, je lui ai dit de revenir à deux heures.
J'ai fait la bise au videur, pourtant je ne l'ai pas reconnu mais il faut savoir soudoyer le petit personnel. J’ai des principes.
Je suis entrée dans le club. C'était un ancien hangar à fruits, le patron était parti avec la caisse, Gianni avait racheté le tout, cash, mis des néons à l'entrée et des bouteilles aux murs. tous les gars de la région venaient se rincer la panse et l'oeil après le turbin.
Il était au bar Gérard, dans l'ombre, dans son costume blanc à col large à pointe rose, il fumait une cigarette électronique, j'étais là quand les flics avaient débarqué pour un un contrôle d'hygiène, plus question de fumer des Lucky Strike au comptoir.
Il m'a vu, il m'a pris dans les bras, un petit boulot bien payé ça demande des concessions.
- Dis donc je ne pensais pas te revoir.
Il m'a pincé la joue, oui j'ai grossi et je t'emmerde, Gérard, vas'y toi bosser chez MacDo, rien que regarder les frites ça te transforme en double cheese.
- Toujours pochetron? Je lui ai tapé sur le ventre.
- Dis moi, sur scène, tu t'appelles toujours Daisy?
Il m'a regardé de bas en haut, il avait fait fortune à Rungis avant de se reconvertir dans le strip-tease de banlieue. La tâche de sang il l'a tout de suite repéré. Il avait le chic pour m'emmerder.
Alors j'ai dégraphé ma robe et je l’ai enlevée, là devant lui, devant le bar, devant les clients et je lui ai mis dans les bras et lui ai dit:"Faudra me laver tout ça pendant que je serai là haut".
Il s'est figé, je me suis retourné et ai marché vers l'entrée des artistes. Les mecs déjà ils sifflaient on aurait dit qu'ils n'avaient jamais vu un cul de leur vie.
Quand mon spectacle a commencé, je suis arrivé sur scène, une danseuse m'avait prêté un châle. J'avais besoin de rien d'autre, rien que mes talons et un peu de ma dignité. Je les ai allumé comme des cowboys, comme des voyous, les clients, ils secroyaient dans un film, ils criaient ils hurlaient.
J'ai tourné trois fois sur la scène et puis j'ai jeté mon sous-tif au barman. Je suis descendu dans la salle, j'ai commencé à me balader entre les tables, avec le peu de vêtements qui me restait. Cinq minutes après j'étais à poil.
Il y avait une table avec des gamins visiblement surexcités, bourrés, ils criaient, levaient les bras au ciel, ils m'insultaient tout le temps. Alors je sui sallé vers eux, doucement. De l'index j'ai fait signe au plus bruyant de se rapprocher. Je l'ai allongé par terre sur le béton froid du club. J'ai fait le tour de son corps allongé. Puis je me suis arrêtée et j'ai enfoncé mon talon dans sa main posée sur le sol. Ses copains disaient plus rien. Et j'ai tourné, tourné, le gars osait pas crier.
Chapitre 3 : Blue night
Gianni m’avait bien engueulé, j’avais pas le droit de martyriser ses clients, c’étaient de bons citoyens, de bons fils de famille, ils avaient la vie devant eux et moi je leur marchait dessus.
J'ai appris 15 jours après pourquoi Gianni m'avait gardé. Il voulait que je travaille en tant que serveuse dans son nouveau lieu de plaisir, le nouvel Eden Club qu'il venait d'ouvrir en ville. Un lieu où les gens se rencontreraient et échangeraient des verres et des bons mots, dans une ambiance libre et détendue. Une boite à partouze, ça j’ai compris, au premier étage dans les pièces il avait fait installer des canapés pourpres en pilou pilou, un jacuzzi et des chambres à grands lits. Il y avait aussi un bar aussi.
Gianni m'avait recasé. C'était moins exposé, il disait, ça ne me dérangeait pas de ne pas danser, la paie était moins bonne mais j'avais moins de pervers et plus de pouboires. Et je reprenais le même boulot qu'auparavant au macdo, serveuse, c'était une forme de rétablissement, un accomplissement, éviter la décadence, reprendre la marche en avant, je pouvais me remettre à rêver de mettre les bouts d'ici.
Fini le strip au bord de la Nationale, terminé les les routiers polonais, les manutentionnaires picards, le hall en taule c'était du passé, trop froid l'hiver, trop chaud l'été, avec ses coups de vents à déshabiller une stripteaseuse.
Tout ça c'était du passé.
Gianni avait racheté une batisse du XIIe siècle, à deux rues de la Mairie de Louvres. Il avait même réussi à faire financer une partie des travaux par la Région. Il était monté en gamme, par la force du poignet il était devenu un monsieur.
Eden Club.
Je suis derrière le bar. Il est l’heure de passser aux choses sérieuses. Le soir est tombé depuis une heure mais l’été donne une impression de vivre dans un sauna créé par notre propre sueur. Les esprits sont déjà bien allumés, les rires sont un peu trop forts, les lèvres humides mais il va falloir une petite étincelle pour que les couples commencent à se lâcher complètement. C’est souvent le rôle d’une des nanas amenées ici.
Parfois c’est un petit pourboire de son micheton qui décoince, parfois même c’est Gérard qui offre sa tournée, ou glisse un biffeton pour demander à la fille de se déshabiller un peu et rendre la soirée plus directe. Il a bien compris son intérêt le gégé.
La grande qui vient d’arriver me semble une bonne candidate.
Elle s’est installée avec un gars dans le salon rouge . La fille est élancée, le mollet fin et la cheville de danseuse. Elle porte une robe charleston qui souligne son corps longiligne. Quand elle rit, son corps bascule vers l’arrière et, tenant les mains liées sur son genou droit, elle dévoile le dessous de sa cuisse à celui qui le fait rire et à toute la clientèle du club.
Le gars avec lui, quel intérêt? Un petit gros je crois que je n’avais pas vu ici, ou alors je n’arrive pas à le reconnaître ils se ressemblent un peu tous les mecs. Pas de veste, chemise à manches courtes tâchée de vin, cravate dénouée au dessus de joues rouges. C’est lui qui conduit, qui régale, qui choisit, c’est lui qui paie.
- Il te plaît le gars de la table 10?
Il s’ennuie ferme, le barman, il n’a pas grand chose à faire, non plus, il me charrie. Il croise les bras et caresse sa longue barbe d’une main calme.
- Qu’est ce que tu cherches en travaillant ici? Tu ne couches pas avec
les clents, tu ne fais plus de strip, tu ne te fais pas de pourboires. Tu ne fais pas ça pour l’argent.
-
Je me sens propre, je me sens bien. Il y a les pourboires aussi.
- Les clients n’ont pas une thune pour nous, ils sont comme nous, ils
paient tout, leur femme, le pavillon qui va avec, la voiture pour fuir le pavillon, le boulot pour payer la voiture, à la fin du mois, ils croient que l’État leur a tout piqué alors qu’ils se sont mis le garrot d’eux-mêmes. Alors ils viennent se payer un peu de liberté, comme des petits soldats sur le port, ils claquent tout parce qu’à la fin ils vont crever, du typhus ou du chômage. Alors si tu veux du blé, il faut pas les lâcher. Sur leurs genoux qu’il faut te trimballer. Ils sont ici pour oublier, demain ils ne sauront jamais l’argent qu’ils t’ont laissé. Ça gènera qui? Leur femme, leurs gosses, ils vont se faire engueuler, mais pas plus que d’habitude alors en attendant ils se sont éclaté la quille.
J’étais contente d’être là derrière le bar, j’étais protégée. Je faisais la sécurité. Les plus allumés je les mettais dehors. Il y en avait pas mal, des imbéciles, j’aurais même dit que la connerie c’était le fond de commerce de l’Eden Club. Ils vendaient pas que des bouteilles de mousseux au prix du champagne, des kirs royal au perrier, ou l’accès à une salle à partouze nettoyée tous les soirs. Ils vendaient une vie en kit, un jeu de rôle où tout le monde est à poil. Quand ils se désapaient ils devenaient des gnomes des voleurs, avec une quête, devenir le hardeur primal.
Je les regardais comme ça de temps en temps sur les écrans derrière le comptoir. On avait des caméras dans toutes les salles de baise, un peu pour surveiller, un peu pour se marrer, on matait ça en faisant la plonge. Parfois ça commençait à mal tourner, je voyais ça je terminais d’essuyer mes verres et puis j’allais leur expliquer les règles. On ne tape pas. On n’encule pas, sauf le mard.
On avait établi un code avec les habituées, si elles se grattaient le nez d’une certaine façon, j’intervenais.
Videuse dans une boite à partouze.
Gianni m’avait payé un abonnement à la salle de sport. Je pouvais me muscler pendant la journée, apprendre les arts martiaux, la boxe. Et le soir je me posais sur ma chaise haute collée bar, en minijupe et décolleté, bien maquillée, l’oeil bien noir et je devais siroter que de l’eau gazeuse “avec une paille”.
Pendant ce temps le barman arrêtait pas de parler.
- Tu pourrais te trouver un bon gars ici. j’ai entendu dire qu’au
village à côté ils vont engager des informaticiens pour travailler sur le site de la mairie, peut être qu’il y aura quelque chose pour toi?
- Je suis allé à l’école avec eux, je les connias, ils sont tous
insipides. Ils ont pas bougé de la région. La moitié sont jamais allé à Paris ou à Lille. Même Amiens.
- Je les comprends moi, il me fait en plongeant les mains dans
l’évier, je suis bien là, j’ai mes copains, mes voisins, mes plans pour avoir de la beuh… Pour moi on habite là où on a son dealer. Celui qui connait les meilleurs plans, qui peut vous trouver les plus belles têtes de weed dans les cités. Pas le petit gars qui te trouve une barrette qui te fait mal à la tête, non, le vrai fournisseur de quartier, celui qui va te fournir en qualité mais qui saura ne pas le griller auprès des flics, faut rester discret sinon tout le monde se ramène...
Je ne l’écoute plus trop. Je regarde le couple, le mec a essayé de poser sa main sur le genou de la fille en lui disant un mot à l’oreille mais elle l’a repoussée d’un geste brusque. Le petit gars a le nez en trompette qui commence à fumer. Ils ne rigolent plus tous les deux. Elle roule des yeux, sa maxillaire bouge de bas en haut, elle doit parler, d’ici je n’entends rien. Elle fixe son gars droit dans les yeux, elle garde sa la main levée et le bras replié prêt à se défendre de nouveau. Le gars réessaie. Il pose sa main plus haut, sur sa cuisse, elle le repousse, il recommence, en lui parlant il avance sa main vers le haut de sa robe, elle saisit son poignet et essaie de le retirer de nouveau mais il a planté ses doigts dans la cuisse. Je pose mon verre et saute de ma chaise. Pas le moment de faire scandale, pour lui ni pour moi. Je tire ma jupe de cuir et trottine vers eux. Enfin un peu d’action.
-
Monsieur vous embête?
- Pas du tout, il répond, discussion d’amoureux, vous devez en voir
souvent par ici. Tout va bien.
-
Et vous mademoiselle?
- Comment ça “Et vous mademoiselle?”, me fait le gars surpris.
Je ne le regarde pas, j’observe la fille qui tord son visage vers moi. Elle a les yeux grands ouverts et vagues, comme si elle allait pleurer, elle garde sa main toute fine sur le poignet gras du type, ou plutôt sur sa montre.
- Qu’est-ce qui se passe? J’entends derrière moi, en même temps que je
sens une main se poser sur mon épaule. Daisy?
C’est la voix de Gianni, nasillarde. Pour une fois qu’il bosse lui il vient interrompre mon boulot.
- Est-ce que vous passez une bonne soirée? Il répète.
La nana ne peut pas se gratter le nez pour faire le signe de détresse. Le client lui assure que tout va bien. “On va juste vus prendre une bouteille de champagne. Et du bon!”
Le voilà parti en négociation avec le tenancier de l’Eden Club. “On a un Dom Pérignon.” “Dîtes donc ça doit être cher ça.”, lui fait le gars. “C’est tout ce qui nous reste, je vous mets le Dom Perignon, vous allez aimer.”
“Dans le cul”, je grince entre mes dents.
“Daisy, me fait Gianni en se tournant vers moi, tu veux prendre un verre avec nos invités? Ou pas cette fois, là tu vas amener la commande de monsieur. “
Il n’avait pas laché mon épaule. Je sens qu’il me guide pour que je retourne au bar. Je fais un demi tour. “Et une bouteille bien fraîche! Il fait chaud chez vous à l’étage! Vous me l’amenez dans la chambre des délices.” J’entends la voix du gars qui me lance encore des ordres.
Gianni lui répond: “Bien sûr! Allez va chercher la bouteille de monsieur. Quelle potiche celle là!” Je sens une main qui vient se mouler sur mes fesses et me tater l’arrière. J’entends deux rires gras, gros, partir. Là pendant une seconde, peut être une heure, j’ai vu toute ma vie défiler devant mes yeux, j’avais ma robe au pressing il faudrait la récupérer, j’avais un billet d’avion à me payer, j’avais tout les films qui m’attendaient, j’ai senti que tout ce que je désirais ne pesait rien dans la main du maquignon, que j’étais aujourd’hui son jouet mais je voulais, je devais continuer pour ne pas passer à côté, je voulais accomplir quelque chose de grand, que personne n’avait jamais fait. Mes rêves ils étaient à moi, c’était à moi de les accomplir. Sur mes rêves je ne vais plus rien lâcher.
C'était le 14 juillet Gianni avait organisé un bal costumé. C'est tout dire que le gratin de la ville s'est radiné, en petits habits loués. La fête battait son plein, dans une demi-heure on allait tirer le feu d'artifice. Les gens s'égayaient dans le jardin d'autres dans les étages de la batisse.
J'étais en train de donner un coup de chiffon sur le comptoir tout neuf, au rez-de-chaussée, qui donnait sur le dehors. j'ai vu trois personnes s'asseoir à une table dans le jardin. Ils étaient bien habillés. Le plus grand il portait un costume de clown blanc. Je me suis approchée, le clown a tourné la tête vers moi et m'a fixé.
Derrière ses yeux maquillés et sa peau blanche de poudre j'ai senti tout mon passé qui me regardait.
Chapitre 4 : Four lane road
-- Salut, Charlotte.
Ses yeux ne me lâchaient pas. Une goutte de sueur a commencé à couler de son front immense et blanchi par la maquillage, s'est arrêtée sur sa tempe et doucement, imperceptiblement, a grossi en son milieu, comme si cette goutte avait toujours été là. Quand elle a dépassée l'arête de son visage et a basculée le long de sa joue, soudain je l'ai reconnu. Les souvenirs sont apparus.
Pierrot.
Il venait chez moi, on s'enfermait dans ma chambre, on jouait, les voisins des pavillons autour de nous ils regardaient, par les rideaux, ils avaient des soupçons, un grand de 16 ans qui vient chez une petite, j'avais 12 ans, mes parents étaient à l’ouest, mon père était parti quand il avait appris que ma mère était enceinte, il l’avait castagné puis il était retourné par chez lui, pas de chance il avait visé la tête pas le ventre, j’étais née un peu plus tard. Ma mère le plus souvent, elle était pas là, elle trainait en bas de la ville au bistro en face du rer à s'accrocher au comptoir, elle ne remontait que pour gueuler pour vomir ou pour s’envoyer un client du bar qui lui avait fait assez . Un jour, les voisins sont venus sonner à la porte, je mettais la musique très fort, leur chien aboyait depuis le début de l'après-midi. Je suis allé ouvrir, peut être que j'étais en petite culotte. Elle a essayé de m’engueuler. Le lendemain le chien n’aboyait plus. Ils ne sont jamais revenus.
Je grandissait. Pierrot m'a emmené avec lui, quand il sortait, au centre commercial. On retrouvait ses copains à lui, on regardait les gens passer, c'était lassant à force, on a commencé à se demander ce qu’on pourrait faire d’eux, alors on les a dépouillé. Ils m'envoyaient en premier, j'avais une petite histoire à raconter. J'étais la petite gosse toute seule, perdue, je ne savais pas où était ma famille, très vite les gens me proposaient de chercher en voiture, on faisait le tour du parking et moi je les guidais. Quand on arrivait dans un coin reculé, je leur montrait Pierrot en leur criant:" Là Là c'est mon frère!" Ils s'arrêtaient. J'ouvrais la porte de la voiture et là notre bande elle leur tombait dessus. On en a dépouillé des voitures de leurs courses, c'était rapide, je piquais les sacs à main, les sacs à dos, tout ce qui trainaît, pendant que la bande se jetait sur les courses dans le coffre.
Un jour la sécurité du centre commercial est intervenue, on a réussi à leur échapper. Notre plan était grillé. Je suis rentrée à la maison, j'ai sorti de sous mon lit les sacs que j'avais gardé. C'est là où je me suis rendu compte combien les gens avaient une vie. J'ai ouvert les portefeuilles, j'ai vu les photos, j'ai vu que les gens avaient deux trois portables pas cher, invendables, mais avec plein de sms dedans, des tromperies à n'en pas finir, des histoires de cul surtout, avec des photos... Ah j'en ai vu des images quand j'étais petite...
Ça m’a donné une idée, j’en ai parlé à Pierrot. On a tracé en ville. On a commencé à retrouver tous ces lascars qui trompaient leur femme et on les a fait gentiment chanter. Toujours moi, au front, j'étais une guerrière, une commando. Un ange, une vraie enfant. J'avais une petite robe à volant, un peu trop petite, je commençais à avoir des formes. Ça les amadouait, les mecs, au début, puis quand ils comprenaient qu'on avait des images sur eux, ils devenaient blancs, liquides, ils cherchaient à disparaître, alors on les faisait cracher au bassinet, en échange qu'on leur redonne leur portable, de toutes façons on avait déjà tout copié. A ceux qui ne voulaient pas, Pierrot intervenait, un peu. Ça a duré longtemps cette petite combine. On a dû racketter la moitié d'Orry-la-Ville.
Pierrot est maintenant devant moi, dans ses grands habits blancs de clown triste, ça faisait longtemps, il avait une cigarette plantée entre ses lèvres d'un rouge écarlate.
Il l'a prise en son milieu et l'a jetée à terre, puis l'a écrasé sous une semelle démesurée.
Il alternait les gestes lents et les gestes violents, en silence, puis me regardait d'un coup.
-- Alors... Tu n'es pas contente de me revoir?
-- La dernière fois que je t'ai croisé tu portais des menottes. A ce que je vois, tu as toujours le goût du déguisement.
Son front blanc plissait légérement, il avait fait chaud à en crever, je n'arrivais pas à deviner si les perles de sueur étaient provoquées par la canicule.
Il a fait un petit geste en direction des deux gars qui l'accompagnaient. C'étaient deux gars habillés en marins du Kursk, enfin une tragédie dans le sens.
-- Je te présente Pipo et Mario, mes nouveaux amis. Je fais dans la comédie en ce moment, les films muets, les deux lascars ne parlent qu'urkrainien.
-- Vous êtes venus pour une partie à trois? que je lui ai fait. Les soirées gay c'est le jeudi. Mais peut être que vous pouvez prendre une chambre.
Le clown il a commencé à crier, en même temps j'ai entendu les premiers pétards de feu d'artifice exploser au loin dans la rue.
-- J'ai passé trois ans à l'ombre et tu sais que je ne t'ai pas dénoncé. Aujourd'hui je viens pour te faire payer ta dette.
J'ai rien dit j'ai regardé ses yeux.
-- Tu sais j'ai gardé les films de nos exploits. Tu te rappelles? Quand on faisait chanter les gars dans l'immobilier à Ory-la-Ville? Tu ne t'ai jamais demandé pourquoi les flics n'avaient pas ressorti les films, pendant le procès? Tu te souviens? Les films où on te voit draguer, allumer complètement et les attirer chez toi, et les films dans la cave... Je les ai encore, ma poulette. Tu me regardais pourtant à l'époque quand je te filmais. On savait se parler à l'époque, on se comprenait.
Je me souvenais maintenant, la cave, les vidéos, pour faire chanter les gus, ils crachaient tous au bassinet, ça a été le boulot le plus facile de ma vie. Jusqu'à cet accident, avec le gars un peu plus petit qui voulait pas payer. Il s'est énervé, je me suis énervé, Pierrot derrière la caméra, tu parles, il a tout filmé. Le gars a jamais porté plainte. Se faire dérouiller par une gonzesse, il avait sa vie à assurer derrière.
-- Et tu veux quoi? Je lui ai fait.
-- J'ai un petit job à te proposer.
-- Je ne fais plus ça, je lui ai envoyé. C'est fini c'est du passé maintenant j'ai une nouvelle vie.
Rien que de lui envoyer ça, de lui raconter un telle énormité, ça m'a tout retourné, même moi je ne me suis pas cru, rien du tout, je me suis dit je suis quoi? Une rouquine serveuse dans un club échangiste, une nana qui a besoin d’argent. Cueille le jour.
-- Tu vas voir c'est qu'un petit coup tu vas adorer, on va aller taquiner le bourgeois, Pierrot a continué. On a repéré une famille ils sont plein aux as, je sais pas ce qu'ils foutent par ici. Ils ont un fils de 8 ans. On va le kidnapper.
Moi qui révait de faire carrière dans le cinéma.
J'imaginais déjà les parents des kidnappés, qui se rongeraient le sang, la famille dévastée, accablée. le père qui attend un coup de fil dans le jardin, la mère elle regarde par la fenêtre, ils espèrent des instructions.
Chapitre 5 : Eleven AM
Pierrot s'est occupé de louer une chambre à Creil, pas trop loin de Louvres et direct en RER. Il a voulu être discret. Il est passé par Le Bon Coin.
J'attends ma proie. Ça a été facile de le faire tomber dans mes filets. C'est l'été. Le petit Sébastien va à la piscine de Louvres presque tous les jours. Je me suis acheté un petit bikini à fleurs rouges et j'ai traîné mes kilos en trop du côté du grand bassin. On a beau dire, les athlètes ça aime la chair fraiche. Au bout de deux heures au bord de l'eau, Sébastien m'a proposé de prendre un café. Il se sentait fort. Il m'a tout raconté, sa vie de stagiaire dans le garage de son père. Son BTS. Ses futurs vacances à Biarritz avec ses copains. Je n'en revenais pas, j'étais sa proie mais il n'y voyait que du feu, il se sentait un homme, il se sentait chasseur alors que c'est lui que j'étais en train de chasser.
Je le trouvais beaucoup moins bourgeois et thuné que ce que m'avait raconté Pierrot, encore un de ces plans bien boiteux.
On est dimanche, déjà. Rendez-vous donné à 11h, Creil, l'adresse il avait tout noté dans son smartphone Sébastien. J'étais arrivée la veille, j'avais passé la nuit dans l'appartement loué, à préparer mon plan et à révasser sous les toits dans la chaleur de l'été.
Il est déjà 10h. Je me suis réveillée difficilement j'étais en prise à des rêves agités. Je suis allée directement sous la douche en espérant m'éclaircir les idées, puis sans prendre le temps de me sécher, je me suis assise dans le grand fauteuil de velours qui traînait devant la fenêtre, j'ai enfilé mes chaussures à talons et j'ai marché comme une dame devant le grand miroir dans la chambre meublée. Je me regardais, nue, je m'imaginais avec une robe à rayures, sans manche, très chic, d'immenses lunettes noires sur le nez pour passer inaperçue, j'étais sur le tarmac d'un aéroport, je marchais d'un pas pressé vers mon jet privé, celui que m'aurait donné mon ancien amant millliardaire, devenu moine au Tibet. Devant le capitaine de l'avion et tout mon équipage qui me faisait une haie d'honneur et m'applaudissait, Je faisais de grands pas conquérants.
Entre deux va-et-viens devant la glace, j'ai jeté un oeil par la fenêtre et j'ai vu Sébastien traverser la rue, il a levé la tete et m'a aperçu, j'étais nue comme au premier jour d'une nouvelle vie.
Je l'ai suivi du regard et j’ai jeté ma main en l’air, je lui ai lancé un petit signe, il s'est s'engouffré dans l'imeuble. J'ai pris le temps de me passer un peu de rouge à lèvres, criard, flamboyant, gras et qui sentait l'ortie.
Lorsqu'il est entré dans l'appartement, j'ai passé mon bras nu derrière son cou et je l'ai embrassé à plein bouche, sans lui laisser le temps de comprendre ce qui lui arrivait,. Je respirais avec beaucoup de bruit, je collais mes lèvres contre les siennes, il ne pouvait pas parler, pas réagir, c'est moi qui commandait maintenant.
-- Viens près de moi, je lui ai mumuré. Laisses-moi faire.
Je l'ai poussé sur le lit et ai grimpé à califourchon sur lui. Entre mes jambes, contre mon sexe, je sentais son ceinturon de métal où était marqué Gucci, il a essayé de se relever sur ses coudes j'ai passé mes mains derrière son corps et j'ai tiré sur son tee-shirt qui collait à son corps humide et qui puait la sueur. J'ai posé mes mains sur ses épaules et je l'ai poussé contre le lit, je l'ai embrassé, furieusement, crûment, comme il révait qu'on l'embrasse, je lui ai mordu les lèvres et j'ai senti le goût du sang dans ma bouche, une sensation âpre et rugueuse au fond de ma langue. Je me suis redressée, je respirais la bouche ouverte, avec bruit, comme une femme excitée.
Je me suis reculée. D'une main j'ai défait sa ceinture. J'ai ouvert son pantalon. J'ai saisi les hanches de son pantalon à pleines mains et j'ai tiré dessus jusqu'à ce qu'il arrive à la hauteur des genoux de Sébastien.
-- Tu es à moi, tu es magnifique, maintenant, je lui ai fait.
Je me suis réinstallé sur Sébastien, son corps était tendu sous moi, ses jambes entravées, son sexe dur comme du bois sec, son torse lisse trempé de sueur. J'ai mis ma main contre sa glote et l’ai repoussé contre l'oreiller sans qu'il résiste.
Je l'ai laissé me regarder en train de me tortiller, passer les mains dans les cheveux, je lui ai dit "Regardes moi", il était incapable de bouger, hypnotisé, comme un gamin devant sa télé, mais les monstres, tous les monstres sortent de l'écran pour venir le tourmenter et l'enfant ne peut pas bouger. Je me suis penché sur lui, j'ai senti mes seins se coller contre sa bouche, j'ai tendu mes bras et j’ai j'ai frotté mes aisselles contre son nez, pendant que je soupirais comme il n'aurait jamais rêvé, j'ai attrapé le bout du drap qui trainait derrière sa tête sur le lit défait. Son sourire niais.
-- J’ai une idée, Sébastien.
Devant lui j'ai déchiré le drap en une lanière, avec de grands gestes. J'ai passé les bouts du drap contre son torse.
-- Tu sens ce qui va t'arriver?
-- Oui. Non. Il m'a fait.
Avec la lanière, j'ai commencé à faire un noeud à son poignet. Il s'est mis à rire nerveusement, sa machoire pendait sans qu'il puisse articuler autre chose que des sons, je fixais son regard tout en jouant avec chaque extrémité de ses nerfs, je passais en rythme les bouts de lanières froides au dessus de son visage et sur son corps pour t'exciter doucement.
Je me suis penchée à nouveau au dessus de lui et pendant que je remplissais sa bouche de mes seins, j'ai passé la lanière dans les montants du lit à baldaquin. J'ai tiré doucement sur la lanière, son bras droit est passé au dessus de sa tete. Je tenais fermement le bout de tissu de ma main gauche, j'ai descendu mon visage vers son aisselle et, en laissant traîner mes cheveux contre son bras, j'ai planté mes ongles profondément dans son flanc et les ai laissé lentement s'enfoncer. Sébastien s'est tortillé en laissant échapper un cri indistinct. J'ai saisi son poignet gauche et me suis affalé contre son bras pour qu'il passe lui aussi au dessus de la tête de Sébastien. J'ai saisi son poignet gauche entre le bout de mes doigts et caressant délicatement avec le tissu les parties les plus fines de sa peau, je l'ai entouré avec la lanière. Une fois le noeud fait, j'ai serré d'un coup, violemment. Sébastien ne résistait pas, il s'offrait à mes liens. J'ai serré le plus fort que j'ai pu.
Voilà Sébastien maintenant solidement attaché au lit. J'ai planté mes dents dans ses lèvres violemment une dernière fois je me suis redressée et j'ai fourré le reste du drap dans sa bouche pour qu'il ne puisse pas hurler.
Il a commencé à se débattre en dessous de moi. Il était trop jeune, il ne savait plus si c'était un jeu érotique mais j'ai commencé à lire de la crainte dans ses yeux. Il a essayé de me faire basculer. J'ai pris ses cheveux de la main gauche, je l'ai tiré en arrière, son cou se cassait sous mes gestes violents et de la main droite je l'ai frappé, main ouverte, une fois, deux fois, puis j'ai fermé ma main et j'ai visé l'oeil, sa paumette a éclaté, j'ai senti du sang contre mes poings, j'ai enchaîné, droite, gauche, mes mains me faisaient mal à frapper, sa tête volait, à droite à gauche. J'ai saisi le ceinturon près de moi je l'ai mis dans ma main pour lui frapper au visage, à la tempe, à l'oeil.
Son corps était inerte maintenant. Je me suis relevée et je me suis dirigé vers la salle de bains, je devais reprendre une douche, revivre ce moment unique, cette joie d’avoir dompté la bête.
Après la douche, mes cheveux étaient de nouveau mouillés mais tant pis. J'ai remis mes talons et j'ai traversé la chambre, nue comme tout à l'heure, je suis allée à la fenêtre et j'ai téléphoné à Pierrot, qui attendait dans le garage en sous-sol, pour qu'il vienne récupérer Sébastien. Je me suis regardée devant la glace, je me sentais reposée.
J’avais rendez-vous avec Jacky à midi sur la place de la République dans le café en face du Speedy. Jacky devait m’inviter.
Il ne me restait plus beaucoup de temps. J’ai ouvert la porte pour que Pierrot puisse monter récupérer le paquet ficelé et j’ai commencé à chercher mes affaires pour me préparer.
Pierrot est entré. D’abord il m’a vu nue sur mes talons, c’était la première fois qu’il me voyait à poil depuis sa sortie de prison. La première fois depuis mes 12 ans. Je me tenais droite la culotte à la main devant la fenêtre, je sentais le soleil réchauffer mes reins encore mouillés par la douche, je sentais chaque goutte qui descendait doucement et disparaissait. Je me suis dit que j’allais rester, devant lui, juste une apparition lumineuse, un halo de femme dans la lumière de l’été. Pardonnez-moi ces moments de poésie, mais je savais bien ce que je faisais, j’étais exacte sous la bonne lumière je savais ce qu’il voyait de moi un corps nu mais dont il ne pouvait qu’imaginer les détails le corps d’une sainte venue du ciel.
Pierrot avait une cagoule, pour pas que Sébastien ne puisse voir son visage. C’était mon idée, je ne voulais pas l’exposer, on était allé à Décathlon dans les rayons d’hiver, il n’y avait pas de soldes, mais on a trouvé ce qu’on voulait, elles étaient en laine et là Pierrot il suait il puait on aurait dit une infection. Moi qui me sentait toute propre.
- Je t’ai préparé le petit lot.
C’était pas ce qu’on avait prévu, il a fait. Il a commencé à gueule. J’avais abimé Sébastien, je lui avait cassé le nez, il vaudrait beaucoup moins cher maintenant, et si les parents l’apprenaient ils allaient s’exciter encore plus.
Je me suis approchée, lentement, chaloupée, je voyais mon ombre qui fondait sur lui et lui grimpait sur le corps. Il a arrêté de parler avec ses petits arguments, il a senti ma fureur déjà revenir, je crois qu’li a bien compris qu’il fallait pas me chercher à me gâcher le moment.
- Tu as fini ton numéro? Tu devrais me remercier. C’est moi qui ai
fait tout le boulot. Alors tu vas fait ta part maintenant. Tant qu’il est pas réveillé, tu vas l’amener dans ta voiture, comme prévu. Ensuite tu remontes. Tu imagines que la propriétaire du meublé vienne à trouver des traces de sang? Tu ne veux pas que les flics remontent jusqu’à toi? Tu es libéré sur parole. Tu reviens et tu vas tout nettoyer. Moi je crains rien, personne ne m’a vu monter, toi la location est à ton nom, alors je te le conseille, fais au mieux, avant de disparaitre. On se retrouve plus tard.
Pour une fois qu’un plan se déroulait sans accroc, il allait quand même pas me pourrir la vie.
J’ai mis un jean, un haut dégagé dns le dos avec des bretelles, un peu de parfum, un chapeau à large bords, 8e99 chez Carrefour à Chantilly, le chapeau, ce truc je l’avais piqué à Julia Roberts dans Ocean Eleven. Je suis passée par le garage pour sortir discrètement de l’immeuble. Il n’y avait personne dans la rue, les gens cuisaient dans leurs appartements en attendant le chômage. J’ai marché au soleil jusqu’à la place de la République.
Je n’étais pas en retard mais j’ai aperçu Jacky,déjà assis en terrasse, il a lancé la main en l’air. Il va falloir que je fasse bonne figure. J’espère que je n’ai pas les joues trop rouges.
Jacky a commandé sa bière. J’en prends une aussi et je demande un petit poisson blanc. J’ai goûté celui de chez Auchan il est délicieux alors autant prendre la même chose ici. Je sais ce qui se passe en cuisine ils vont juste ouvrir un sachet alors il faut s’adapter, il faut se préparer. J’aurais bien pris un tartare mais pas après la séance de tout à l’heure, une prochaine fois peut-être.
Jacky commence sa roucoulade, il voudrait que je vienne habiter chez lui, il n’est plus tout jeune, il le dit, il veut donner un nouveau départ à sa vie, ouvrir son propre Speedy. Il paraît qu’il y a une succurcale à vendre à Creil plus au nord sur la ligne de rer. Il va aller voir le banquier la semaine prochaine. Il m’imagine bien en secrétaire. Il a raison, le Jacky. Je m’habillerais en robe léopard avec des décolletés plongeants, les clients ils vont faire la queue pour réparer leur pot d’échappement. Son business plan ça se tient. J’en ai connu une danseuse comme ça il y a trois ans. Elle s’est mise à la colle avec un vendeur de lunettes qu’elle avait rencontré à l’Eden. Le gars lui a acheté un petit tailleur bordeaux, des collants et l’a poussé dans un magasin. Atoll. L’opticien, au centre commercial de Survilliers-Fosses. Un an plus tard elle était enceinte, elle avait un crédit sur le dos et son futur ex-mari allait tous les midis partager du boudin purée avec la cantinière de chez Leclerc. Elle a beaucoup pleuré s’est fait avorter et maintenant elle vend toujours des lunettes, elle ne rentre plus dans son tailleur mais elle a fait sauter un bouton de son chemisier pour faire venir les client. Il faut dire que la ville a perdu pas mal d’emplois, il y a bien quelques nouveaux venus à Survilliers-Fosses, des petits cadres qui n’ont pas les moyens de s’installer à Senlis. mais eux ils préfèrent faire leurs courses un peu plus loin que le Leclerc, il poussent jusqu’au Carrefour, c’est plus loin mais c’est plus chic, il y a un choix de marques.
Elle aurait bien rénové sa boutique maintenant qu’elle est quasiment seule elle n’a plus que ça à foutre que perdre sa vie à s’endetter. C’est un avenir il sait se vendre mon Jacky. Je fais des dessins dans la ratatouille, avec la sauce blanche du poisson pané. C’est troublant. Décidément ils essaient tous de me gâcher la joie depuis tout à l’heure à m’expliquer la vie. Mais j’ai décidé de garder ma bonne humeur, de ma main libre je lui pince la cuisse de joie.
Il doit m’emmener travailler tout à l’heure. Mais avant on va chercher un pressing pou rma robe. C’est le comptable qui m’invite. merci pour ce moment.
Après le café et la cigarette de Jacky on se lève et on se dirige vers le centre ville.
“Ah j’aurais aimé te présenter à mon patron”, il me fait le Jacky d’un coup romantique. “ Tu devrais voir sa maison, il a une piscine, des chaises longues, un garage avec sa moto...”
Un barbecue en briques et des enfants qui jouent au jeu vidéo… Je me demande d’où je connais aussi bien le monde maintenant. Plus rien ne me surprend.
En attendant, on va porter ma robe au pressing, j’ai demandé à Jacky de m’avancer les frais. Dans ma tête et dans un mois, je serai loin, Jacky pourra toujours m’envoyer la facture à Holywood. Miss Daisy Benjamin, first caravane, near Tom Hanks, à gauche.
Dans le pressing devant la petite stagiaire je roule une galoche au mec qui vient de payer, je vérifie, oui elle l’a bien remarquée mon manège la petite stagiaire. Je lui fais un clin d’oeil. J’espère l’avoir dégoûté des hommes pour sa vie.
Jacky m’a amené au RER pour Louvres puis il est retourné travailler, il était déjà en retard. J’en ai profité pour regarder mon téléphone. Pas de nouvelle de mon petit repris de justice, mon petit employé à moi. Il doit être en train de nettoyer l’appartement de peur de retourner se faire emplumer le cocotier à la Santé. Je fais dans le social. Il a intérêt à marcher droit.
A l’Eden Club, ils sont en train de descendre les chaises. L’après-midi on ouvre comme si on était un petit café, lounge, sympa, entre collègues, un petit verre avant de reprendre le boulot à la mairie ou de retourner à la maison, si on est assez discret on peut monter dans la chambre 101, au premier étage, elle est toujours prête la première, toujours libre, alors que les autre chambres sont nettoyées un peu plus tard dans l’après-midi. Les gens ont des urgences qui leur courre dans le fond du pantalon, il faut qu’ils se déchargent les pulsions, vite fait, n’importe où, n’importe quand, même ici et maintenant, c’est tout dire. Je regarde la vie avec détachement, je suis une vieille sage, je suis là depuis l’ouverture, je vais me raser la tête et vais servir les clients en lévitation. Je pourrais faire ça.
Pas de message de Pierrot et de ses deux colombins. Rien que de penser à ces trois gaillards en train de nettoyer à fond, changer les draps, aller chercher de la javel, de la soude, une brosse à dent, frotter avec du citron des petites traces de sang sur le matelas… ça valait le coup.
Je me suis assise dans le jardin et j’ai commencé à discuter avec le jardinier en reluquant les premiers clients arriver.
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Mon rêve je suis en train de le construire. Une fois que je serai riche, que ma part de la rançon me sera versée, je partirai.
Chapitre 6 : Hotel Lobby
Battistini était un personnage qui avait marqué la région. Au sortir de la guerre il avait douze ans et il était orphelin. Quand les autres enfants demandaient des chewing gums ou des bas aux soldats américains, Battistini devait trouver à manger et il ne pouvait compter que sur lui-même pour survivre. Il sut se rendre indispensable dans les campements de américains, en apportant de l’eau et du mauvais vin, en échange, les soldats lui donnaient du chocolat, qu’il revendait au marché de Saint-Witz. En même temps qu’il apprenait la base du commerce, il se prit de passion pour la mécanique des camions. Il passait des heures le nez dans les moteurs avec les soldats chargés des réparations, il voulait comprendre comment on pouvait à partir de rien faire marcher quelque chose. De plus pas besoin de parler la langue. Il n’avait pas appris l’anglais et savait ce qu’étaient une clé à pipe ou un palan à main, même s’il n’avait pas les mots, ni en anglais, ni en français, il connaissait la mécanique.
Les américains partis, il trouva de l’embauche dans un garage à Vémars et il continua le samedi à faire du troc dans les marchés avec ce qui lui restait de marchandise. A 16 ans, il racheta à une fermière esseulée prise de pitié, pour quelques francs, une vieille camionnette en panne depuis 1940. Il la répara avec un bas, et à compter de ce jour il l’utilisa pour vendre ses services partout où pouvait l’emmener son brave véhicule.
On savait dans le coin qu’il serait toujours là, avec sa bande, pour déplacer un lit.
Bref, 70 ans plus tard, il était le personnage le plus riche du département.
Ou plutôt, il était le plus influent, il avait passé une première partie de sa vie à créer des réseaux, en particulier chez les chatelains, les notables, puis les industriels. Dans les années 60 il avait utilisé ses réseaux principalement politiques pour faire passer les autoroutes par chez lui, il avait creé plusieurs entreprises de transport, puis de revente de matériel divers.
Quand la demande de rançon était arrivée, les parents de Sébastien étaient venus le voir. Il était le seul à pouvoir les aider à rassembler l’argent. Sébastien avait été dans la même école que l’une des petites nièces de M. Battistini. Surtout M. Battistini ne supportait pas qu’on touchât au cheveu d’un enfant de la région. Peut-être aussi qu’il était le père non déclaré du père du garçon enlevé. Peut-être simplement qu’il s’ennuyait vers la fin de sa vie et voulait montrer son pouvoir.
M. Battistini s’était levé de sa grande taille, il avait sorti sa montre d’or et de nacre de son gilet de tweed et avait prononcé ces paroles ailées: “ Nous allons le libérer”. Oui, il avait été très marqué par De Gaulle et pour lui tout devait se finir sur des propos guerriers et définitifs. Malheureusement M. Battistini n’avait pas tellement le sens de la formule.
Chapitre 7 : Conference at night
- Tu l’as salement amoché. Si on envoie une photo on n’en tirera pas
un sou.
On est tous en train de parler, en silence dans la nuit.
Cela fait deux jours que la demande de raçon a été envoyée et toujours pas de réponse. Il faudrait les relancer.
Pierrot est venu me chercher après le travail, il m’a emmené dans une école abandonnée. Il m’a montré Sébastien qu’il tient prisonnier dans une cave désaffectée. Puis on est remonté dans une des salles et on s’est installé sur les tables pour discuter. Il a l’air sérieux.
Pierrot m’explique que Sébastien était complètement tuméfié.
- Il faut l’amener à l’hopital, qu’il me fait. Je vais abandonner.
Je me suis raidi.
- Ça veut dire qu’on n’aura jamais de pognon. C’est ça. Tu as peur
pour tes miches. Tu veux juste pas retourner en prison. Encore un de tes plans foireux.
Pourquoi je bosse avec des hommes? Je me suis demandé.
L’ukrainien à côté de moi, il pige pas un mot, mais la discussion il la suit et il semble m’approuver. Lui aussi veut juste l’argent ça se sent.
- Ecoutes, me fait Pierrot. On n’en tirera que des emmerdes. C’est
râté, faut lâcher l’affaire. Mes potes de prison m’ont envoyé des sms, dans toute la région ils cherchent des renseignements. Des armées de gros bras se sont levées. Ils sillonnent toutes les routes en cherchant des renseignements.
N’empêche, celle qui a pris des risques c’est moi. Celle que Sébastien reconnnaitra c’est moi.
Si je veux pas que cette histoire me gâche la vie, il faut que m’en sorte toute seule. Comme d’habitude.