Journal

Écrire avec ardeur.

Follow me on GitHub

Lili s’est levée de sa chaise, est-ce que je lui ai dit quelque chose qui lui a déplu? Ou bien elle a voulu aller danser elle n’a peut-être pas pensé que cela me vexerait d’être laissé en plan, seul, devant sa chaise, que je contemple maintenant, inerte, vide et rouge. La musique fait vibrer quelques canettes de bière vides sur la table de la cuisine, je suis debout, immobile, je sens un corps me frôler, j’entends la voix de Lili qui dit: “Pardon” oh pas trop pour me demander de l’excuser, je suis debout le dos contre le chambranle de la porte, elle veut juste passer dans le salon, elle laisse traîner la dernier syllable: “Pardoooon”. Hors de mes yeux, va va Lili, je suis peut-être trop fatigué ou c’est que j’ai trop fumé, je ferme les yeux et j’étire mon cou pour faire rouler ma tête de droite à gauche, mon corps à la recherche d’équilibre. Les verres tintent entre les corps qui se croisent qui se côtoient sans se connaître. Bonne année! C’était il y a un certain temps déjà. Je porte la bouteille de bière que j’ai en main vers mes lèvres. Alors que je lève mon bras, que ma tête se soulève petit à petit, mon regard flotte et se pose vers la droite attiré par les gestes saccadés de deux filles de dos, deux copines de Corinne - la copine de Lili - la coloc de Valérie - c’est elle qui invite - mon regard se faufile entre les cheveux qui bougent, une barrette qui tremble au rythme d’un corps pris par le rire, derrière elles clignote une lumière orangée c’est l’horloge d’un four, il est 2h32, la cuisine brûle de l’énergie de ces corps debouts et de ces paroles essentielles et déjà oubliées. Étienne passe devant l’horloge et me la cache, il s’arrête, pose la canette qu’il tenait dans sa main et repart rapidement, en sautant presque en l’air entre les pieds des invités, il tournicote pour rejoindre la piste de danse, lui aussi, ou va savoir, il ne s’appelle pas Étienne? Il a une bonne tête à prénom commun, il est grand et son pull trop long et sans forme avec des rayures horizontales aux couleurs délavées, sur le côté de son pantalon, une chaîne en argent accrochée à sa hanche qui pendouille trop bas sous son genou pour se relever avec grâce et achever sa course dans une poche baillante d’un jean à trous Étienne ou pas Étienne se faufile entre la table et quelques couples qui bavardent, il s’approche de moi, passe le seuil, je n’ose le suivre du regard trop directement, s’il me prenait pour un maniaque, qu’est-ce qu’il va penser, il est sûrement tout à fait normal il va bouger son corps pour son plaisir, tout simplement, une musique envahit tout l’espace, au rythme cadencé des bafles du salon, quelqu’un a monté le son, les basses frappent à l’estomac, des cris de joie, alors que je voudrais fermer les yeux et me laisser emporter par la vague d’alégresse générale, sentir dans la bouteille que je tiens en main, par mes ongles, les vibrations de la musique, pendant ce temps, quelqu’un en profite pour me glisser un mot à l’oreille droite, inaudible, je reconnais Olivier, qui revient à la cuisine, il a l’air énervé, pour quelqu’un qui m’a demandé de l’accompagner ici, soit-disant pour que je puisse m’amuser, je suis de nouveau étonné par l’obscurité de cette pièce, le corps d’Olivier éclipse ce qui se passe devant moi, un trait de lumière revient, c’est le pull d’Étienne, son pull en acrylique aux poils hérissés qui commence à flotter dans les lumières de la piste de danse improvisée, la densité de ces corps m’effraie me paralyse jamais jamais je n’irai danser, d’autres font comme moi je le vois, appuyés aux rares murs libres ou debouts dans le fond de la pièce devant un canapé squatté, comme des parieurs autour d’un combat de coqs, ils entourent les danseurs aux déhanchés saccadés et solitaires. J’en profite pour laisser couler doucement une gorgée de bière dans ma bouche. Au travers du verre vert de la bouteille je perçois une image transformée de Christophe, plus loin, qui devise avec Virgile en regardant les corps s’ébrouer, percés de lumières, ils parlent sérieusement, ils doivent discuter de cet épisode qui agite les discussions de notre groupe facebook, Virgile a été engagé dans une librairie, certains disent que c’est à la simple vue de son patronyme, en tout cas, en quelques jours, il était viré, il dormait dans la cave du magasin, les clients entraient dans la boutique ne trouvaient personne et se servaient. Je l’imagine d’ici raconter une histoire, peut-être que Christophe va tenter sa chance maintenant que le poste est libre, qui ne tente rien n’a rien, une bonne idée je trouve la vérité tu ne crois pas? Je ne sais pas de quoi ils parlent un mec se poste devant Virgile et lui ébourriffe les cheveux, Christophe tourne les talons et part vers le buffet plaqué contre le mur tout à droite, il fait de grand pas précautionneux pour ne heurter personne, il arrive devant le buffet, vide de la nourriture, jonché de gobelets à l’horizontal, Christophe en redresse un premier puis un second puis un troisième, doucement, il essaie de dénouer son esprit en s’occupant à ranger, dirait-on, je bois une petite gorgée à sa santé en le regardant, il tend la main pour attraper une bouteille de Perrier mais il est devancé, Lili, tiens la revoilà, elle s’en est déjà saisie de la bouteille, elle dévisse le bouchon, le retire de sa main gauche et le pose sur la table, dans le cendrier, improvisé, fait peut-être d’une boite de camembert et de reste de nourriture gâchée, dirait-on de loin, tout est si flou, Lili tourne son corps vers Étienne qui est derrière elle, puis son buste s’arrête de tourner pendant que sa tête continue de sa révolution, elle sourit vers celui qui la suit, d’un magnifique effet ralenti et ses cheveux viennent doucement se poser sur son épaule dénudée pour entourer une bretelle de soutien-gorge. Lili remplit le verre qu’Étienne tient dans sa main gauche puis elle remplit le verre qu’il a dans son autre main, Lili tord son bras vers l’arrière pour reposer acrobatiquement la bouteille, sans même se retourner. Sans même que personne ne semble y prêter attention, Christophe s’en saisit et la soulève dans la lumière d’un petit spot électrique. Vide. Plus rien à boire (moi non plus je n’ai plus rien à boire) Il l’a reposé d’un air dépité (j’agite machinalement ma bouteille pour jauger des quelques gouttes qui me restent et fais couler ces dernières gouttes dans mon gosier) et part de l’autre côté de la pièce son gobelet vide à la main, il commence à faire le tour du salon dans l’autre sens, il passe en se contortionnant avec délicatesse dans le dos de Virgile (toujours tourné vers les danseurs qu’il commente de quelques paroles que j’imagine moqueuses, sans se cacher), Christophe fait de grands pas entre les jambes qui sortent immobiles du canapé, son pied gauche glisse un peu, il n’est pas loin de tomber sur une jeune fille avachie là, il s’est rattrapé d’une main sur le mur, son gobelet est broyé, voilà qu’un gars assis près de la jeune fille s’éjecte d’un bond du canapé, il commence maintenant à projeter fortement les deux mains sur le torse de Christophe, celui-ci, encore en déséquilibre sur un seul pied, bascule brusquement vers arrière, là où se trouve Virgile de dos, qui est d’un coup projeté vers la piste de danse, Virgile bascule le torse en avant, se plie en deux, agite les bras devant lui avec des mouvements de moulinet dignes d’un film de dessin animé et dans son élan veut s’accrocher à la jupe d’hiver d’une fille enceinte en train de danser. La fille saute en arrière pour l’éviter, et voilà que Virgile se retrouve à terre et qu’il reçoit Christophe sur le dos. Des cris des exclamations. Je regarde les danseurs, s’assembler, rire, crier, se resserer, lever les bras vers le plafond pour éviter de se cogner, ils tournent les uns vers les autres et forment un cercle resserré autour des deux corps roulés par terre, ils sautent en rythme en levant une main en l’air puis l’autre, go ahead, go ahead, (je pose mes deux mains sur ma bouteille vide que je colle contre mon ventre) si ça continue les flics vont débarquer, personne ne les entendra sonner, ils vont forcer la porte et tous nous arrêter, les voisins vont nous regarder, par la fenêtre, et nous jeter des coquilles d’huîtres et des morceaux de dinde, enfin ils vont surtout regarder Valérie, et Lili, mais où elle est passée? Lili est devant moi, maintenant, elle a fait pharmacie, elle a traversé le seuil de la cuisine, elle passe devant moi d’un pas nerveux, elle est suivie de son grand dadet de Guillaume, ou peut-être est-ce Étienne, il va jouer la situation, il va lui suivre partout et dire oui à tout, histoire éternelle, je ne sais pas où ça va le mener, au moins une soirée, pas bien loin mais pour un début d’année, pourquoi pas et pour elle aussi, d’ailleurs Lili tire un tiroir sous le four et en sort une petite boite, peut-être des pansements, ele referme le tiroir et se tourne vers le lavabo à sa gauche, là où est appuyé Olivier, elle ouvre les portes du placard sous le lavabo elle s’accroupie complètement en équilibre sur ses talons hauts en espadrille, roses jaunes et vertes, allonge la main et sors une serpillière, qu’elle tend à son amoureux, son futur ex, celui qu’elle va un jour oublier, ou peut-être marier - puis elle désigne de la main gauche le coin de la pièce, derrière la table, derrière la chaise rouge, posé contre un mur, le balai.