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Télépathie de la mariée

Mes épaules nues sont caressées par le soleil de septembre. Je sens qu’un petit vent chaud soulève les amples volants de ma robe blanche comme neige au dessus de la poussière. Il fait tellement beau cet après-midi. C’est donc aujourd’hui, le plus beau jour de ma vie, le photographe me demande de sourire et je ne peux pas, ça n’est pas ce que je voulais.
Pourtant je reconnais le lieu, le parc du Luxembourg, je reconnais, le parc de mon enfance, les parterres arrondis de fleurs mauves roses qui vont si bien avec le ciel bleu, comme disait chaque fois ma grand mère quand elle m’amenait ici pour me sortir au soleil, comme elle disait. C’est la plus belle journée de l’automne, 30 septembre 2019, j’atais sûre qu’il ferait beau, je m’étais dit: je m’en souviendrais toujours, dans mon coeur je vais préparer ce moment, j’attendais, je voulais graver cette date toute ma vie. Tellement.
Je ne veux plus regarder celui qui m’accompagne, qui est maintenant mon mari.
Sa veste bleue écarlate trop courte jure avec le reste de son habit blanc pâle, son veston refermé cache une bedaine de jeune buveur de bière, son pantalon pâle en tissu écossais repart sur ses hanches en des plis bouffants et son ourlet traîne dans la poussière du parc.
— Annabelle, ne bouge plus. René, prends la mariée dans tes bras.
René s’approche comme on lui a demandé. Je vois ses lèvres s’avancer, mes épaules se raidissent, mon menton rentre dans mon cou, j’enfouis ma tête dans son épaule pour éviter ses lèvres. Ce n’est pas comme je voulais, comme je l’avais imaginé, comme on en avait souvent parlé, ma grand mère, les filles du quartier, tout le monde jouait à se marier. Des lèvres se posent sur moi, des dents mordillent ma peau puis se retirer. Je sens aussi une main remettre ma mèche en place.

— René, fais danser Annabelle autour de toi.
René prend ma main et la soulève de côté, omn bras manque de se décrocher, je commence un tour maladroit sur moi-même, je baisse la tête pour ne pas abîmer la décoration de mes cheveux à nos deux poings joints.
Pliée en deux, sous l’arc de nos mains à jamais tordues et liées ensemble, j’aperçois sa main gauche, la main restante de mon mari, enfoncée dans la poche de son pantalon, ça fait des plis.
J’essaie de capter son regard. Mon mari est extatique, les sourcils levés au dessus d’un sourire béat et figé.
Je pense que le soleil va bientôt se coucher. Nous serons bientôt chassés du parc.