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Écrire avec ardeur.

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Pieds nus.

Mes pieds nus reposent sur le bitume brûlant, je recommence un peu à sentir la chaleur. J’ai du mal à dormir à même le sol. J’ai du mal à rester assis et quand mes mains touchent par terre la brulûre est forte et je dois les ramener vers mon ventre. Mes membres avaient été sculptés, travaillés, fatigués dans les champs, par les branches, les pousses de riz, les cailloux, les animaux. Depuis que je suis arrivé en ville, mes membres se reposent. Ils sont en vacances. Par contre mes oreilles travaillent tout le temps, ma bouche parle, chante, crie parfois, mes yeux, ma patience travaillent aussi. Je gagne mieux ma vie à rester sous ce métro aérien et attendre les ordres. Je me déplace avec les ombres. J’espère que je ne vais pas mourir d’une balle perdue ou d’un militaire zélé. Le destin m’a amené à descendre en ville, avec les autres, on verra bien, c’est comme ça.
J’aurais pu rester là-haut dans les champs et passer ma journée à craindre les serpents. Si je me pose la question honnêtement je préfère encore rester en ville et ouvrir l’oeil pour éviter les balles. Mes anciennes vies n’ont pas dû être un grand succès. Je plains mes ancêtres puisque que je me retrouve maintenant assis aujourd’hui sur ce bitume. Je me souviens. Le chef du village nous a réuni un jour au début de mousson quelques uns dans la mairie, il nous a présenté à un homme habillé comme un explorateur. Il nous a parlé avec la langue de la télé. Il nous a proposé de l’argent, si on s’asseillais dans son autocar pour descendre en ville et manifester avec lui. On n’a pas été nombreux le premier jour, quelques paysans sans travail comme moi et quelques vieux solitaires. Le maire a exigé qu’on soient payés en avance. Un mois de salaire. On a tous signé un papier. J’ai pu le remercier depuis. Cela fait maintenant trois mois que l’on reste sous le métro aérien, les gens du village. On a été rejoint par des jeunes couples et quelques vieux, ceux qui sont mariés ont été parfois rejoint par leur femme ou leurs enfants, pour moitié moins d’argent. Mais on est tous là, du village, ensemble. Tous les villages. Toutes les montagnes. Tous les paysans. Assis, toute la journée, à fuir le soleil et faire la révolution.

Fusil.

Mon fusil n’a jamais été chargé. Dommage, même si je ne sais pas m’en servir. Lorsque ce blanc s’est approché de la barrière que je garde, je lui ai lancé. “ Do you know where do you go? “ Cette phrase. On m’en a dit ce qu’elle voulait signifier mais je l’ai dite tellement de fois que j’en ai perdu le sens. Je n’ai pas fait attention à ses mots, j’ai juste saisi mon arme avec un air tendu et aggressif. Même si mon fusil n’est pas chargé. La plupart des gens reculent. Je peux reconnaître les innocents des coupables en suscitant peur, je lis leurs gestes. L’homme blanc s’est approché de moi, il portait une chemise avec des ananas, comme un homme habillé de n’importe comment, même si sa valise avait l’air solide. Il m’a montré un papier portant le logo de l’hôtel de la rue. On m’a donné l’autorisation laisser passer les gens qui se rendent dans cet hôtel bien situé pour les journalistes, pas loin des premières rues occupées. Je lui ai encore un peu crié dessus quand même, pour voir sa réaction. Il a souri, comme un bonze ou comme un imbécile, sans comprendre et sans inquiétude. J’ai ouvert ma barrière.

Moto.

Mes parents avaient raison. Lorsque le matin tôt je quitte l’appartement de mon cousin pour aller enfourcher ma moto, je pense à eux. Je pense aux petits boulots dans les marchés qu’ils m’ont obligé à prendre. Je pense à l’échoppe de ma tante que je tenais parfois quand je n’allais pas à l’école. Je pense à ces occidentaux qui passaient à moto. Je pensais à ces citadins comme mon cousin. Je voulais moi aussi pouvoir aller n’importe où. Mon oncle m’a trouvé une moto, pas trop chère, solide. Quand la révolution a commencé, mon cousin m’a appelé, pour que je lui prête ma moto pour aller au travail. Je lui ai dit que j’arrivais. J’ai mis quelques affaires dans un sac et ai fait la route jusqu’à la capitale.
Depuis je vis chez mon cousin. Je ne lui passe pas ma moto mais je fait le moto-taxi, pour lui et pour pas mal d’autres cadres en ville. La cité est tellement quadrillée, compliquée, mouvante, j’ai appris à connaître les barrages, les gardes, à prévoir les mouvements des militaires ou des insurgés, à prédire les heures de manifestations. Je peux transporter n’importe quel fonctionnaire, cadre ou dirigeant à son lieu de rendez-vous, je suis le vent qui porte les désirs. Les femmes en jupes serrées se mettent en amazon derrière moi, je roule doucement. Je roule jusqu’à ce que je sois complètement épuisé. Je rentre saoulé de klaxons, de poussières et de voyages dans le labyrinthe de la ville. Je me suis fait déjà assez d’argent pour m’acheter plusieurs motos. J’ai voulu en offrir une à mon cousin qui m’héberge gratuitement mais il a refusé, il préfère qu’on le serve. Il travaille comme chef de projet au ministère de la l’intérieur. Il dirige plusieurs personnes. Il me donne des idées.