Pieds nus.
Devant les vitrines Dior et Hugo Boss,
ils dorment.
Corps bruns et gris sur le bitume, repliés. Les cheveux reposent sur la main. La main entre tête et terre, pour chaque corps replié qui dort sur le côté. Habillés d’un tee-shirt imprimé et déchiré. Pas seuls. Jamais seuls. Des dizaines d’autres corps immobiles, allongés, sur le dos, le côté. La main s’accroche parfois à un gros sac qui contient ce qu’ils ont emporté de leurs vies précédentes, dans une toile de jute grossière, marqué par des excréments des animaux de leurs vies d’avant.
Soleil tourne et mange les corps qui disparaissent.
Ils sont prévenus. Ils ont vu les autres se faire happer.
Quand le jour avance, malgré la chaleur, ils se déplacent sous les ombres du métro aérien pour éviter de disparaître sous le soleil. Le premier réveillé se met debout et lance un coup de pied à son voisin de bitume qui s’étire, assène un coup sec sur le sac du corps qui dort à côté de lui. Ils se lèvent les uns après les autres, ramassent leurs affaires et cherchent quelques mètres plus loin la protection de l’ombre entre d’autres corps étendus plus loin.
Au milieu de la journée l’ombre est si fine que seuls des enfants restés debout arrivent encore à se protéger. Les plus anciens les plus vaillants ou les plus désespérés restent au soleil retournent un carton vide et jouent aux cartes en riant. Le chapeau de paille reste la richesse la plus convoitée.